Rendez-vous compte ! On ne parle pas là de l’onde
médiatique du moment, on parle, ni plus ni moins, de la rencontre de deux
monstres sacrés. Le « Néonomicon » ce n’est rien moins que Moore
(Alan de son prénom, nous vous en avions parlé ici) et Lovecraft (Howard Philip, HP pour
les intimes –ici-). Une conjonction des astres si propice qu’on en oublie le nom
du dessinateur (Jacen Burrows), un rendez-vous à ne manquer sous aucun
prétexte, l’espoir de ne pas être déçu par cet astre noir que l’on n’attendait
pas.
En bons cultistes que nous sommes, nous fûmes rapidement subjugués, pour ne pas dire pantois d’admiration, devant le prologue de cette
histoire qui vient taquiner allégrement le meilleur du Mythe à la sauce contemporaine. Le traitement narratif, la mise en page, l’idée
(exceptionnelle, osons le mot) de faire des mots une drogue (et inversement) offrent une paranoïa à vif, une horreur (oui, ce
prologue fait peur !) qui râcle la raison jusqu’à l’os. A l'appui de dessins à la
verticalité oppressante, aux gros plans reproduisant le narcissisme
lovecraftien et l’intériorité morbide de son approche, cette partie de l'album parvient en quelques planches à
saisir un pan entier du continent de l’angoisse distillée par Lovecraft.
Toutefois le parti pris de Moore ne s’arrête pas là. Dès la fin du prologue, il semblerait que ce dernier ait cherché à renverser le Maître de Providence. Le héros devient héroïne, le sexe
jusque-là totalement absent fait une apparition fracassante (en phagocytant
tout sur son passage), la pulsion de mort se transforme en pulsion de vie, la
crainte et sa génèse se déplacent du passé à l’avenir. Autant de choix osés
et originaux, malheureusement (que l’adverbe est cruel) le substrat reste le
même, à savoir une certaine linéarité narrative, ce qui semble condamner Moore
à un traitement direct, brutal, sans concessions. Là où le prologue nous amenait sur les rivages de l’innommable, le récit s’embourbe parfois dans des choix
douteux. Utiliser la nymphomanie pour expliquer (justifier ?) des viols en
série, ou
user du prisme de la libido pour explorer la psychologie des personnages trouve
rapidement ses limites. Si le pari est, encore une fois, audacieux il s’arrête
aux portes de la relecture.
Bref, autant le prologue confine au chef
d’œuvre, autant le coeur du récit s’englue dans un traitement trop efficace, une mise à plat du Mythe presque Derlethiène (un comble !). Impossible de nier que
cette descente aux enfers relève du haut le cœur et du malaise, deux notions
clefs de l’horreur - et non de l’angoisse, ce qui encore une fois inverse la
donne - mais elle apparaît bien trop limpide et simpliste.
Au final - nous sommes chez Moore - reste une
délectation de lire une histoire (sordide et dérangeante pour le coup) à laquelle on repense bien après avoir fermé le livre; mais, il faut bien se l'avouer, le contre-pied pris par le scénariste pour contrer la xénophobie sous-jacente et le puritanisme de Lovecraft tombe à plat, un peu comme si le Mythe de Cthulhu et les idées de Moore étaient définitivement non miscibles.
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